#Photographie : Michel Kameni, une reconnaissance tardive

#Photographie : Michel Kameni, une légende et un génie discret

Publié le 8 avril 2020, par Charly ngon

Michel Kameni aurait certainement eu un destin autre si son travail avait eu une grande visibilité. Mais durant plus d’un demi-siècle, il est resté anonyme jusqu’au jour où son chemin a croisé celui du photographe français Benjamin Hoffman.

Michel Kameni (Papami)

Lorsqu’on parle de l’histoire de la photographie au Cameroun, et des premiers photographes camerounais à l’avoir marquée ; Michel Kameni fait incontestablement partie de ceux-là. Il fait partie de cette caste de capteurs d’images, qui malgré le talent qu’il a pu avoir, n’a pas connu une carrière aussi élogieuse que la plupart de ses collègues de la même époque. « Papa Mii » comme il se fait affectueusement appeler, a réalisé de nombreux clichés inédits d’une rare originalité, qui raconte d’une certaine manière l’évolution de la société camerounaise au lendemain de l’indépendance. Malgré une qualité de travail exceptionnel, Michel Kameni restera un photographe anonyme, jusqu’au jour où une rencontre hasardeuse va mettre en lumière son talent aux yeux du monde.

Premiers pas dans la photographie

C’est dans le département du Haut-Nkam dans la région de l’Ouest Cameroun, plus précisément à Bana (Bafang) que Michel Kameni voit le jour vers 1935. Il passera une bonne partie de son enfance auprès de ses parents, avant de quitter le cocon familial. Soucieux de son avenir, un de ses oncles va le prendre sous son aile et l’emmener avec lui. C’est ainsi qu’en 1946, Michel Kameni arrive dans la ville de Yaoundé. Durant son service militaire, son oncle, ancien combattant de l’armée française, avait appris à faire des photos auprès des colons. Lorsqu’il s’installe à Yaoundé, il va mettre ses connaissances de photographe à profit. La rue est son espace d’expression, car à cette période, il n’y a pas encore de studio tenu par les camerounais. Entre temps, Michel Kameni va à l’école. Voyant l’intérêt que son neveu porte à son activité, ce dernier va lui offrir un appareil photo, et l’encourager à y faire carrière. Dés 1950, il va apprendre aux côtés de son oncle les bases du métier (prises de vues, montage, tirage); tout ce dont il avait besoin pour faire les meilleurs clichés.

© Michel Kameni, Studio PHOTO KM, courtesy Benjamin Hoffman
Hands up, 1969

Atteint d’une tuberculose, l’oncle de Michel Kameni sera contraint d’arrêter son activité de photographe. Le jeune Michel, bien qu’étant encore novice dans le métier va continuer à faire les photos, mais à temps partiel afin de subvenir aux besoins de la famille. À la sortie des classes, il écume les rues pour offrir ses services de photographe. Les seules personnes qui avaient le luxe de posséder un studio photo professionnel à cette époque étaient des français. Cependant, ces studios n’étaient pas à la portée de toutes les bourses, ceux qui n’avaient pas les moyens, trouvaient alors leur compte chez Michel Kameni. Il était très sollicité pour les prises de vues de portraits de carte d’identité. Affaibli par la maladie, son oncle va malheureusement rendre l’âme quelques mois plus tard. Alors qu’il est encore en train de pleurer celui-là qui a été plus que son oncle ; son mentor qui l’a initié dans le domaine de la photographie, Michel Kameni est dépossédé de son matériel de travail par la veuve de ce dernier. 

Après cette douloureuse épreuve, Michel Kameni va connaitre une toute autre aventure qui va lui permettre de construire sa personnalité. En 1954, la France décide de faire des cartes d’identités dans toutes ses colonies. Il revenait donc à chaque responsable de colonie de recruter des photographes pour faire ce travail. En compétition avec les photographes français, Michel Kameni va se démarquer par la qualité de son travail. Il sera donc choisi par le préfet de Yaoundé pour aller faire les portraits des populations du Nord et du Tchad. Jusqu’à 1960, Michel Kameni a effectué plusieurs milliers de portraits, la majorité des documents administratifs de cette période possède encore quelques unes de ses photos. En 1963, il fait la rencontre d’un photographe français à Douala, Mr Chevalier, avec lui, il va parfaire son savoir durant six mois sur les techniques de travail en studio (éclairage, développement en chambre).  

De Michel kameni à Papami

Fort de cette expertise qu’il venait d’avoir, Michel Kameni retourne sur Yaoundé la ville où il a commencé à faire ses photos. Le 23 septembre 1963, il réalise son plus grand rêve, en ouvrant son propre studio photo au quartier briqueterie. Finis les photos sur la rue comme il le faisait auparavant, maintenant il a un cadre chaleureux et accueillant pour ses clients. Cette année marque aussi l’émancipation des populations au lendemain de l’indépendance. Chaque individu voulait s’affirmer, imiter aussi le colon en son temps. Le studio photo de Michel Kameni leur servait donc d’exutoire pour se faire des photos avec des postures singulières. Toutes les couches sociales s’y retrouvaient pour immortaliser chaque instant de leur vie. C’est ainsi que la popularité de Michel Kameni est allée en grandissant, au point où, pour les habitués du studio, on ne l’appelait plus Michel Kameni, mais plutôt PAPAMI. Si Michel Kameni n’a pas connu une très grande carrière en tant que photographe, même s’il était connu dans la ville de Yaoundé, c’est en parti dû au fait que la portée de ses œuvres était restreinte. Ou tout simplement parce qu’il n’a pas eu la chance comme certains.

© Michel Kameni, Studio PHOTO KM, courtesy Benjamin Hoffman
With attitude 1967

Avec son Rolleiflex, un des modèles d’appareil photographique reflex bi-objectif et de moyen format de l’époque, fabriqué par les allemands Franke&Heidecke à partir de 1929 ; Papami va capturer en noir et blanc, les chapitres importants de la société moderne et traditionnelle camerounaise. Il était toujours invité lors des soirées dansantes ou autres évènements mondains pour prendre les gens en photo, lors des cérémonies funéraires ou encore l’intronisation des chefs de village, l’objectif de Papami n’était jamais loin de ces grands moments.

Source: Ebay , modèle d’un Rolleiflex

Pendant cette époque même, il y avait des photographes bien en vue sur la scène africaine qui faisaient un travail remarquable. Mais celui de Papami avait une dimension artistique remarquable ; avec un sens de la créativité avancé et un souci du détail qui rendaient son travail unique. Sur chacune de ses prises, il y avait une envie de ressortir le meilleur de la personne, ses émotions, ses aspirations ; la personne dans toute son authenticité et sa sincérité. Sa maitrise de la gestion de la lumière faisait en sorte que, ses photos gardaient toujours leur côté naturel. Toujours en quête de nouvelles choses, Papami se faisait son propre cobaye. Dans son imagination débordante, il découvre une nouvelle technique de tirage de photo dont il sera le seul à maitriser les contours : la surimpression. Une technique qu’il va pérenniser tout au long de son activité.

Une rencontre inattendue

Il a fallu attendre plus de cinquante ans pour qu’enfin on parle du travail de Michel Kameni. Invité pour la projection d’un documentaire qu’il avait réalisé au Cameroun, le chemin de Benjamin Hoffman croise celui de Michel Kameni par un hasard de la vie. Cherchant à éviter les embouteillages, le taxi de Benjamin Hoffaman se retrouve malheureusement bloqué dans le quartier briqueterie. Pendant qu’il patiente que la circulation soit rétablie, son regard est attiré par un studio photo banal. Frappé par ce qu’il a vu depuis la voiture, il demande au chauffeur du taxi de l’attendre. Lorsqu’il découvre les clichés de Michel Kameni, il n’en revient pas ; qualité du travail exceptionnel, conservation des photos impeccables. Benjamin Hoffman découvre en image, plusieurs décennies de l’histoire du Cameroun enfouies dans des carton studio de Papami. Sans perdre le temps, il va prendre quelques photos, et décide par la suite de rencontrer son auteur pour avoir sa permission de présenter son travail aux yeux du monde à travers un projet.

© Michel Kameni, Studio PHOTO KM, courtesy Benjamin Hoffman
Father and sons, 1968

Depuis que les clichés de Michel Kameni ont été dépoussiérés, ils font maintenant le tour monde. En octobre 2019, ils ont été présentés pendant la foire d’art africain 1 : 54 de Londres, puis en janvier de l’année suivante, ils ont aussi été exposés au vernissage de l’African Studies Gallery de Tel Aviv. Actuellement un livre consacré aux œuvres de Michel Kameni est en cours de parution, il sortira d’ici l’année 2022. Il sera consacré aux œuvres inédites de Papami réalisé avec son Rolleiflex. Aujourd’hui âgé de plus 80 ans, Michel Kameni attend impatiemment la sortie de cet ouvrage, qui sera pour lui, le plus grand symbole de reconnaissance pour tout le travail abattu à l’abri des regards.  

Auteur : Charly ngon

Molah ne te fie pas à mon name, je ne suis pas un mbenguiste, je suis du bled comme toi. Les hauts et les bas sont notre quotidien, donc ne fia pas c'est entre nous quoi ... comme au letch