Traditions et légendes : Charles Atangana, l’interprète devenu chef supérieur des Ewondo

Histoire et légendes : Charles Atangana, l’interprète devenu chef supérieur des Ewondo

Publié le 20 juillet 2018, par Charly ngon

Charles Atangana Ntsama est mort le 1er septembre 1943 à Mvolyé. Il a laissé à la communauté Béti et au peuple camerounais en particulier un grand héritage. Il a travaillé comme haut cadre de l’administration allemande durant des années avant d’être au service des français. Sa collaboration avec ces deux puissances coloniales n’a jamais fait l’unanimité au milieu des siens. Mais ce petit homme qui n’avait à la jeunesse pour seul vêtement qu’un cache sexe en Obom, n’aurait jamais imaginé un jour avoir un destin aussi glorieux. Today sur auletch on partage avec vous le parcours élogieux d’une figure emblématique de l’histoire du Cameroun.

Tout petit déjà Charles Atangana se montrait ambitieux. C’est sur la cour de son oncle paternel Essomba Ngon Nti, chef Ewondo du clan Mvog Atemengue où il passait le plus de son temps que son imagination se nourrissait. Chaque fois qu’il rencontrait les jeunes comme lui qui étaient recrutés comme porteur au service des colons ou encore à celui des commerçants dahoméens, il se voyait déjà à la même place. Orphelin de père, il est envoyé chez son oncle pour recevoir une éducation d’homme.

De là il pouvait observer les caravanes de marchandises qui entraient et sortaient du poste de commandement construit par les Allemands. « Ongola » comme l’avait surnommé les populations Béti, était construit sur les terres du chef Essono Ela du clan Mvog Ada. Malgré le désaccord des autres chefs. C’était un point stratégique qui servait de base arrière aux Allemands, mais aussi de plaque tournante pour les activités commerciales. Ce petit manège auquel le jeune Atangana était déjà habitué, suscita en lui l’envie de vouloir faire partie du groupe de ces jeunes qui accompagnaient les étrangers.

En retour il recevait un salaire en nature comportant une étoffe de tissu, qu’il pouvait porter fièrement à la place de l’Obom et d’autres accessoires. Le voyage leur permettait d’acquérir d’autres savoirs comme parler le pidgin, un anglais approximatif mélangé à d’autres langues locales et de découvrir d’autres localités. Atangana était toujours exaspéré de les voir se pavaner avec fierté chaque fois qu’il rentrait de leur expédition. Ils faisaient l’objet de toutes les attentions des autres membres de la communauté. C’était le cas d’Essomba un des frères d’Atangana qui avait été recruté comme porteur sous les ordres du sous-officier Zimmermann.

Quand le rêve devient une réalité

Un soir alors que tout le village est plongé dans les festivités. Le jeune Atangana n’a qu’une seule obsession dans la tête. Celle de se faire recruter comme porteur. Un projet qu’il partage avec son cousin Tsungi Akoa. Pour lui, avoir ce boulot c’est le privilège de devoir porter un pagne, d’apprendre aussi à parler le pidgin, de découvrir la côte et ses grands bateaux commerciaux. A la fin de la fête, les deux gamins vont aller furtivement roder tout près du poste de commandement dans l’espoir de se faire embaucher comme porteurs. Après plusieurs tentatives, leur patience va finir par payer. Tsungi va être recruté par un Nigérian et Atangana par un Libérien. Mais le voyage tant voulu par Atangana ne se passera pas aussi bien comme il avait toujours imaginé.

Les Béti ont toujours vécu en presque parfaite harmonie avec les allemands. C’était l’époque de Zenker qui n’était qu’un civil. Mais qui avait su s’accommoder aux réalités locales. Avec son départ la réputation des Béti qui se prennent pour des « seigneurs » va prendre un sacré grand coup. Devenus la risée des travailleurs dahoméens qui leur traitaient avec arrogance et surtout prenaient leurs marchandises sans payer, les Béti vont se soulever contre le poste Allemands. Sous les ordres du commandeur Von Kamptz, la rébellion va vite être maitrisée, mais après que les Allemands aient d’abord essuyé une cuisante défaite face aux guerriers Béti.

Voyant les morts, les villages brulées et les populations terrorisées, le vieil chef Omgba Bisogo va se rendre volontairement aux autorités, afin de mettre un terme à la rébellion. Même comme il y a eu encore pendant long moment des poches de résistance. Après la pacification donc, le jeune Atangana pouvait prendre enfin la route en compagnie de son maître en direction de la coté. Les dégâts de la rébellion ne passaient pas inaperçus, même tout jeune, Charles Atangana a été marqué par ce qu’il avait vu. Mais il était surtout heureux de faire se voyage et il en parle dans ses notes personnelles « Trois de mes frères et moi, nous marchions derrière les colons et nous contemplions ces choses comme si nous étions chez les fantômes », comme pour dire dans un autre monde.

 Charles Atangana Ntsama devient Karl Atangana Ntsama

Selon les archives d’histoires, Dominik qui était à l’époque un jeune lieutenant avait été très affecté par la rébellion des Béti. Or depuis Kund, la relation entre les Allemands et les Béti avait toujours été amicale et pacifique. Pour les Allemands cette rébellion était un aveu d’échec quant à leur capacité de pouvoir maintenir une bonne relation avec un peuple qu’on connait pourtant d’un caractère accueillant.  Pour assurer la protection du poste « Yaunde » qui était devenu un lieu stratégique, Dominik pense qu’il faut aussi associer les populations à la gestion de la cité. Il opte donc pour l’Indirect Rule comme les Anglais et entrevoir faire du Kamerun un Etat fédéral noir autonome au sein de l’empire allemand.

Mais pour ça, il faut avoir une élite africaine formée et  éduquée. Conscient de l’importance des chefs traditionnels, il va demander au chef Essomba Ngon Nti et bien d’autres de lui donner leurs garçons afin qu’ils aillent dans les écoles des blancs. A force d’écouter les histoires imaginaires sur le sort qu’on réservait aux enfants dans ces institutions. Les chefs qui se croyaient plus malins, n’envoyaient pas leurs propres enfants. Il se dit qu’ils envoyaient les enfants des autres ou un enfant dont il n’avait pas une grande affection. Ceci reste encore à confirmer. Le chef Essomba Ngon Nti envoya  Tsungi et Atangana. Au moment de les donner à Dominik il dit une phrase forte « Voici donc tes enfants ! Désormais même s’ils meurent, ce n’est plus mon affaire ».

C’est ainsi que Tsungi est envoyé à l’école de Kribi, mais Atangana va d’abord travailler sous les ordres de Martin Paul Samba. Le travail consistait à être formé au rôle de boy avant d’être au service personnel de Dominik. Mais le jeune garçon va impressionner par sa capacité d’adaptation et de compréhension. Plus tard il va rejoindre les autres enfants au pensionnat missionnaire des pères pallotins. Travaillant d’arrache pied, il va se surpasser au point de rattraper son retard sur les autres enfants entrés plutôt que lui à l’école. Il va apprendre à écrire, à parler et à lire en Allemand. La religion étant associée à l’enseignement qu’il recevait, le jeune Charles Atangana va se  faire baptiser en décembre 1898 à la mission des pères pallotins de Kribi. Ce jour-là, Charles Atangana Ntsama va devenir Karl Atangana Ntsama, mais à côté il aura aussi les prénoms de Friedrich et Otto.

Charles Atangana face à la rébellion des Bulu

Après deux années d’études primaires, le jeune Karl va se montrer être un bon élève, surtout que ses résultats scolaires sont satisfaisants. Mais son école va s’arrêter en septembre 1899 lorsque déclenche la guerre des Bulu. Ces derniers vont incendier et piller les bâtiments qui appartenaient aux colons. L’école missionnaire va aussi subir la fureur de ses guerriers. Craignant pour sa vie Charles Atangana ira se réfugier à Douala. Arrivée à Douala la vie n’est plus la même, les avantages qu’il avait à Kribi ne sont plus aussi les mêmes. Pour joindre les deux bouts, il accepte un poste d’infirmier apprenti auprès du Dr. Hoff, à Victoria. Là-bas il fera aussi la rencontre d’une certaine femme du nom de Marie Biloa, avec qui il va se marier en 1901.

La rébellion Bulu battait son plein et cela faisait six mois que Charles Atangana travaillait en tant qu’infirmier à Victoria. En Août 1900, un bateau accosta avec a son bord plus d’une centaine de guerriers Bulu qui étaient faits prisonniers. Ils devaient travailler dans les plantations de l’administration coloniale allemande en guise de dommages et intérêts pour la guerre qu’ils ont causée. Pour faciliter la communication, le jeune infirmier est réquisitionné comme interprète. Une mission qu’il va accomplir avec beaucoup de maîtrise et d’autorité. Des qualités qui surprennent et en même temps intéressent aussi l’administration coloniale, qui décide d’en faire une personne sur qui compté à l’avenir. Il est aussitôt envoyé suivre un stage de clerc en écritures de bureaux au siège du gouverneur à Buea.

Le retour de Charles Atangana

Source: etudescameroun.canalblog.com

Cela faisait exactement cinq ans que le jeune Atangana n’avait plus eu aucun contact avec sa famille. Profitant donc d’un congé, il va se rendre à Yaoundé en compagnie de son épouse. Le petit garçon d’hier était devenu un homme, bien habillé comme les blancs et surtout bien instruit. Une instruction qu’il souhaitait dorénavant mettre au service des siens. C’est ainsi que le 7 septembre 1902, il adresse une lettre à l’administration allemande de Yaoundé pour être recruté comme interprète. Plusieurs autres jeunes comme lui convoitaient ce poste très prestigieux. Surtout que être interprète faisait de quiconque une personne puissante et influente.

Il devait servir de croix de liaison entre l’administration coloniale et la population indigène. Les doléances ou encore les palabres devaient passer d’abord part lui avant d’être acheminé a l’autorité compétente. Contrairement à son frère Johannes Tsungi a qui il va ravi le poste, on lui reprochait de nombreux manquements dans sa façon de travailler. Pour ses frères il était imbu de sa personnalité et snobe. Charles Atangana se montrait plutôt à l’écoute des populations et proposait même des arrangements à l’amiables. L’administration ne tarda pas à constater la sérénité qui régnait entre elle et les populations depuis que Charles était en fonction.

Mais ce poste aussi confortable était-il, attisait beaucoup de jalousie et Charles ne tardera pas à le savoir. En janvier 1907 Charles Atangana et le major Dominik se rendent à Kribi pour un congé. C’est aussi le moment que choisit Onambele Nku et quelques chefs acquis à sa cause, pour monter un plan dans le but d’éliminer Charles Atangana. Selon les rapports d’histoires, le plan était d’empoisonné Atangana, puis de lancer une offensive sur le poste de commandement des Allemands. Le poison qui devait être mis dans son repas par un de ses collaborateurs, avait été fabriqué à base d’ossements humains.

Pour être sûr de son efficacité, on le testa sur une chèvre qui mourut sur le coup. Mais le complot va tomber à l’eau. Trahi par d’autres chefs qui étaient contre la mise à mort de Charles Atangana, Onambele Nku va être arrêté et jugé avec ses partisans le 27 mars. Deux d’entre eux vont écoper de cinq d’emprisonnement ferme et cinq vont être pendus. Avant de mourir Onambele Nku va poser une dernière résistance aux Allemands qui marquera l’histoire. Profitant d’une erreur d’inattention, il va glisser entre les mains des soldats Allemands. Pendant plusieurs jours de traque et d’échange de tirs de feux, le chef Onambele Nku meurt finalement les armes à la main. C’est de cette épopée que le nom du quartier « Etoa Meki » qui signifie la « place sanglante » tire son origine dans la ville de Yaoundé.

 Charles Atangana chef supérieur des Ewondo

Source: lvslcam.com

Karl Atangana Ntsama était certes une personnalité très influente au sein de l’administration allemande. Il était aussi chef de Mvolyé. Mais à Yaoundé c’était les Mvog Ada qui détenaient le pouvoir, sans pour autant influencer sur les autres chefs traditionnels. Mboo Manga fils d’Essono Ela était donc le nkukuma ntangan c’est-à-dire « maire de la ville » ou encore « chef vis-à-vis des blancs » comme va le traduire Charles Atangana dans ses notes personnelles. Un poste qu’il va hériter à la mort de son géniteur. Mais il va le perdre à cause de son comportement qui a fini par agacer les autorités allemandes. Nostalgique de vieilles pratiques ancestrales, Mboo Manga ne s’est pas rendu compte que les mentalités étaient entrain de changer. Polygame de la première heure, il n’était jamais satisfait et en voulait toujours. Alors pour augmenter son nombre de femmes, il pratiquait les rapts dans les autres villages. Une situation dont n’appréciait guère l’administration.

En 1909 lors d’un énième rapt de trop dans le clan Etoudi et Mvog Atangana Mballa, il va être arrêté et envoyé en exil au Nord du Cameroun. On n’aura plus aucune nouvelle de lui, jusqu’en 1910 où on apprendra sa mort. Pour sa succession, les autorités allemandes ont d’abord sollicité Onambele Mbazoa fils ainé d’Essono Ela, qui sera arrêté plus tard pour haute trahison. Puis on va  remettre le pouvoir a son cousin Mvog Otu, qui va le perdre à son tour à cause de son addiction à l’alcool et au fait qu’il est d’une paresse que ne supportent pas les Allemands. Le pouvoir va alors tombé entre les mains des Mvog Fouda en la personne de Fouda Medzi. Contrairement aux autres, lui il va demander qu’on transfère son poste dans son village d’origine. Ce que les Allemands ne vont pas accepter.

Notons toutefois que nous ne pouvons pas certifier si oui ou non Charles Atangana avait postulé aussi à ce poste de nkukuma ntangan. Mais on peut dire que dans les rapports du lieutenant Dominik, il était clair et net que, il était la personne indiquée à ce poste. D’ailleurs Dominik qui était pour lui comme un père adoptif, lui en avait fait la promesse. Devenu maire de la ville de Yaoundé, les Allemands lui accorde le pouvoir de commandement sur tous les autres chefs. Une première dans le pays. Dans ses nouvelles fonctions, il va proposer aux Allemands une liste de personnes qu’il souhaite voir devenir chef.

Ceux qui seront acceptés vont recevoir l’uniforme du chef, une épée de cérémonie et un certificat tricolore frappé du sceau impérial. De retour d’un voyage dans la mère patrie, les Allemands décident de faire de Charles Atangana le chef supérieur des Ewondo. Aucune contestation n’a été faite par les autres chefs. Au contraire ce dernier à reçu la bénédiction des notables qui lui ont remit les emblèmes du pouvoir traditionnel Béti qui sont : les lances, un chasse-mouche, un couvre-chef et un tambour d’appel. Le 25 mars 1914 il reçoit donc ses épaulettes de l’administration allemande qui lui donne un mandat d’une durée d’un an et qui pouvait être reconduit de manière tacite. Charles Atangana Ntsama devient ce jour le chef supérieur des Ewondo et des Bënë.

La vision de Charles Atangana

La collaboration parfaite entre Charles Atangana et les Allemands posait un grand problème au sein de l’opinion. D’aucun estimait qu’il aurait dû apporter son soutien à Rudolph Douala Manga Bell, Martin Paul Samba et à bien d’autres personnes qui s’opposaient aux colons. Mais pour Charles, il fallait que les Béti et l’ensemble du reste des populations du Kamerun devaient d’abord bien se former auprès des blancs avant de réclamer leur autonomie. Aux yeux des Allemands, Charles Atangana était le modèle de la bourgeoisie africaine. Il avait crée un orchestre, il s’était fait construit une maison impressionnante.

Autour de sa résidence il a mis sur pied une scierie, une briqueterie et magasin de vente des produits importés. Il a impulsé au sein de sa communauté un esprit d’entreprenariat. Charles Atangana a eu avec sa première femme deux enfants, Catherine Edzimbi et Atangana Essomba Jean. En deuxième noce avec Marie Ngo Noah, il a encore deux enfants, Atangana René  Grégoire et Atangana Marie Thérèse. Mais avant de mourir, il avait estimé que, c’est Martin Abega qui était la personne capable de  gérer la chefferie supérieure des Ewondo. L’héritage de Charles Atangana était de faire des Béti une communauté solitaire et forte autour de son patrimoine culturel. Peut-on dire encore aujourd’hui que cette unité est visible ?

 

Sources : Philippe Laburthe-Tolra, professeur à l’université de Haute-Bretagne dans la collection Les « Africains » Tome 5.

Auteur : Charly ngon

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