Auletch est allé à la rencontre de Laure Tomben, scénariste camerounaise de BD

Auletch est allé à la rencontre de Laure Tomben, scénariste camerounaise de BD

Publié le 22 septembre 2021, par Charly ngon

Laure Ngo Minyemeck est une scénariste de BD d’origine camerounaise connue sous le nom de Laure Tomben. Elle écrit également des nouvelles pour enfants dont plusieurs ont déjà été publiées. Elle vient de terminer un premier tome de BD qui sera certainement publié bientôt. Mais en attendant, elle a décidé de publier sur sa page Facebook  « Le point de vue de Laure », une série de planches de sa nouvelle BD « Tchiza ». Votre magazine Auletch est go à la rencontre de Laure Tomben, voici ce qu’elle a dit…

 

Bienvenue sur Auletch Laure. Fais un peu d’atalaku en te présentant aux letchois qui te découvre pour la première fois. (Ici on se tutoie no stress hein, nous sommes au letch)

 Tout d’abord, merci à Auletch de me donner la parole. Je m’appelle Laure Ngo Minyemeck, mais mon nom d’autrice est Laure Tomben. Je suis d’origine camerounaise, mais j’ai vécu dans pas mal d’endroits depuis une dizaine d’années. Il y a environ trois ans, j’ai éprouvé le besoin d’écrire des histoires et de les partager. J’ai commencé avec une page Facebook, Le Point de vue de Laure. J’ai écrit des nouvelles, un livre pour enfants (Le Monde de Laïka) et un premier tome de BD (Né avant l’heure) qui n’a pas encore été publié. J’ai également d’autres activités et j’écris par périodes, quand j’ai le temps.

Peux-tu nous djoss (parler) de ton parcours dans l’univers de la BD ?

 D’abord, je suis scénariste de mes BD. Les dessins sont réalisés par des gens avec qui je collabore, mais sous forme de prestations. En ce moment, je travaille avec Fleo Mangaka, un duo de dessinateurs. Nous avons réalisé un premier tome du projet « Né avant l’heure », une histoire mêlant traditions et animisme. Puis nous avons fait « Tchiza », un projet débuté avec un premier dessinateur. Fleo Mangaka a dû reprendre le flambeau en essayant de copier le style naïf et le trait assez simple des personnages tels qu’ils existaient au départ. Nous avons fait un premier tome (il y en aura deux) ; c’est une BD réalisée plus rapidement et susceptible de toucher davantage de monde. J’ai aussi un ou deux autres projets en vue avec d’autres dessinateurs.

C’est quoi ton domaine de prédilection ?

Ce que je préfère écrire, ce sont les nouvelles, parce que je contrôle le travail du début jusqu’à la fin.

J’aime les histoires mêlant romance et drame. J’aime aussi prendre le contrepied des idées reçues, notamment sur les femmes, soulever des questions sociétales, mettre les gens devant leurs paradoxes.

Tes dessins tu les aimes quand ils sont faits au crayon ou sur une planche numérique ?

Les dessinateurs avec qui je travaille préfèrent la tablette numérique. C’est ainsi qu’a été dessinée « Tchiza », du début à la fin. Mais je préfère de loin quand le dessin est réalisé d’abord sur papier, je trouve que le trait a plus de personnalité. Le projet en cours (Né avant l’heure) est réalisé ainsi puis les planches sont scannées.

Qui sont les auteurs qui ont été pour toi des modèles ?

 Les BD qui ont marqué mon enfance, ce sont celles que lisait mon grand-frère Didier : Blek le Roc, Lucky Luke ou Rahan, c’est-à-dire des héros incarnant la puissance masculine. Autant dire qu’en tant que femme, il est difficile de se sentir valorisée ou représentée par ces personnages. Aujourd’hui, je peux dire qu’Aya de Yopougon, de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, est une de mes références. Mais mes modèles ne sont pas des gens du domaine de la BD. En général, j’aime les femmes fortes et entreprenantes. J’aime beaucoup par exemple Rokhaya Diallo, une journaliste et écrivaine aux activités multiples, mais aussi des personnalités très populaires comme Angelina Jolie ou Oprah Winfrey. J’aime les gens entreprenants et libres d’une manière générale.

Tchiza

 

On vous découvre avec la BD « Tchiza ». De nombreuses histoires portées au cinéma sont construites autour de ce sujet. A votre avis ce n’est pas un peu trop de toujours en parler ou c’est plus vendeur ?

Si, des histoires sur ce thème reviennent toujours au cinéma, c’est parce que notre vie entière tourne notamment autour de cela : l’amour et tout ce qui s’ensuit, la passion, le manque, la trahison, la violence (physique ou verbale), etc. Est-ce que c’est vendeur ? Oui, surtout dans le contexte africain, car même si les gens lisent peu, c’est un sujet par lequel ils se sentent tout de suite concernés.

Je pense qu’on peut continuer à aborder le thème de la tchiza, c’est toujours intéressant. Ça en dit plus long qu’on ne le pense sur notre société. Moi je crois que les femmes en couple ne veulent plus, ou en tout cas accepteront de moins en moins que leur homme ait une maîtresse. À une époque c’était possible, les femmes n’avaient pas le choix, mais aujourd’hui beaucoup travaillent, elles peuvent dire non ; une femme indépendante peut dire non et choisir de prendre sa vie en main.

Je pense même qu’il faut sensibiliser les femmes au fait de ne pas accepter cette situation et briser les tabous qui laissent certaines d’entre elles dans l’obscurité. Mais la BD « Tchiza » est avant tout une histoire, je ne veux pas trop en dire, je préfère vous laisser découvrir la manière dont j’ai traité le sujet et chacun l’interprétera à sa façon.

Pourquoi avoir choisi de présenter votre travail en procédant au partage d’une planche chaque jour sur votre page Facebook, au lieu de sortir une fois le bouquin ?

Ce n’est pas exceptionnel dans le monde de la BD. La plupart des comics américains et des mangas, même parmi les plus célèbres, sont d’abord diffusés au compte-goutte dans des revues spécialisées avant d’être édités. Pour se faire connaître, et aussi pour inciter les gens à lire, il faut accepter de donner certains contenus gratuitement ; c’est ce que j’ai fait avec la plupart de mes nouvelles. Mais je ne donnerai pas l’intégralité de « Tchiza », seulement une trentaine de planches, puis je pense la commercialiser en PDF ; la version papier attendra, parce que les coûts d’impression d’une BD en couleurs sont très élevés et que peu de gens peuvent se permettre d’acheter des livres en Afrique.

S’il fallait aborder un autre sujet, ça serait lequel et pourquoi ?

J’ai déjà abordé d’autres sujets dans mes projets passés ou en cours : le fait que les femmes ne puissent pas être héritières au Cameroun, par exemple, mais aussi la place de la religion dans la famille, les difficultés à concilier traditions et modernité, la pression que subissent certains enfants vis-à-vis de leurs parents, la difficulté à vivre comme on est… Ce sont des sujets qui me tiennent à cœur parce que, bien souvent, ils sont liés à des injustices. Je pourrais développer mais ça prendrait trop de temps… Selon vous, le ton employé (l’argot) dans les BD originaires d’Afrique est un plus ou un inconvénient pour leur positionnement sur le plan mondial ? L’argot est une véritable signature qu’il faut préserver. Mais je ne crois pas qu’il faille en faire une utilisation systématique, de peur de perdre les lecteurs étrangers et de rendre difficile la traduction. Pour ma part, j’ai choisi de ne l’utiliser que très peu, mais c’est sans doute aussi parce que je viens d’un milieu dans lequel il est peu pratiqué.

Quel regard portez-vous sur l’univers de la BD au Cameroun ?

 Je trouve qu’il y a des choses intéressantes. L’influence du manga est très présente. J’espère que d’ici quelques années la BD camerounaise trouvera une place sur le marché mondial. Il faudra pour cela nous montrer très rigoureux et exigeants dans nos scénarios, nous inspirer de ce qui se fait à l’étranger tout en représentant des personnages qui nous ressemblent et en racontant des histoires qui incarnent les réalités de notre pays. Il va falloir beaucoup travailler et accepter la critique et la remise en question, un point qui est parfois problématique au Cameroun.

Quels sont tes projets sur le court et le long terme ?

 Sur le long terme, j’aimerais mettre en place une plateforme numérique proposant des BD africaines, même s’il en existe déjà. Pour le reste, je préfère ne pas trop en dire. J’ai un recueil de nouvelles disponible sur Amazon, « L’Autre Regard », et un livre pour enfants, « Le Monde de Laïka ».

Un dernier mot avant de mettre un terme à cet entretien

 Via votre site, je voudrais encourager les Africains à découvrir les auteurs de BD et de littérature du continent, à faire confiance à ces auteurs et aux œuvres qu’ils proposent car il y a de la qualité, il y a de belles choses à découvrir et il faut encourager la création. Je remercie Auletch de m’avoir donné la possibilité de m’exprimer. Merci beaucoup de m’avoir consacré un peu de votre temps et à très bientôt.

Auteur : Charly ngon

Molah ne te fie pas à mon name, je ne suis pas un mbenguiste, je suis du bled comme toi. Les hauts et les bas sont notre quotidien, donc ne fia pas c'est entre nous quoi ... comme au letch