Où sont passés les petits-goals ? Enquête sur la disparition d'une discipline culte au Cameroun

Où sont passés les petits-goals ? Enquête sur la disparition d’une discipline culte au Cameroun

Publié le 25 juillet 2016, par Mota__Savio
Un match de football

Un match de football

On ne le dira jamais assez, le temps passé ne revient plus. Et oui !  On a beau fermer les yeux, sourire bêtement en pensant aux souvenirs d’enfance mais rien ne les ramène. Aujourd’hui, il est rare de trouver les kwats pris d’assaut par les enfants. On n’entend plus leurs cris pendant les vacances. Tous sont à la maison. Plus personne ne ‘‘Joue la santé’’. Même les enfants des quartiers shows/chauds se comportent. Résultat : C’est le calme du cimetière que tu veux voir à Bepanda à 16heures ? Kamga ne joue plus au football…bref, aux petits-goals.

C’est à Bepanda sans caleçon, quartier sérieux de la ville de Douala que Kamga, élève-CEO de @Monshung237 sur Twitter vient de call son pote Essome, histoire de savoir s’il y a match today. Après quelques minutes, il raccroche. Il n’y aura pas match comme d’habitude depuis près de 8 mois. C’est déjà les vacances mais le kwat ne bouge pas. Les jeux d’enfants se font rares. « On est trop booké ces temps ci. Il y a eu trop chillings dernièrement. Mollah  c’est chaud » explique Kamga.

Tout comme la génération android, il passe ses journées devant son Smartphone sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Snapchat, Instagram). A 14 ans, il passe la majeure partie de son temps sur le web  à chercher les problèmes aux inconnus. Quand ses potes et lui n’insultent pas les mères des gens…qu’elles sont bizarres, ils s’attaquent aux albums des artistes. « Oh Stanley chante quoi ?  Oh Téléphone de Franko ne vas pas buzzer ». Du coup, cette génération passe à côté de l’une des déclinaisons du football les plus incroyables dans le monde.

Les petits goals, plus qu’un jeu, un moment d’union autour du ballon rond

Au Letch, tous les letchois (es) ont joué à ce jeu pratiqué avec des règles spéciales dont tout le monde était au courant sauf l’arbitre. « A l’époque des fédérations, les enfants jouaient tout le temps au football dans les quartiers. Plus qu’un moment de détente, c’était l’occasion de s’unir autour d’un même objectif : La victoire. De plus, les détecteurs de talent n’étaient jamais bien loin durant les matches » explique Owona Owono, spécialiste des questions de jeux pour enfants et auteur du livre à succès «10 jeux d’enfance que vous n’êtes pas prêts d’oublier » paru aux Editions Adjéwa’a.

L’expert explique que lors d’un match de football, on pouvait tout voir, vraiment tout. Tout partait du choix du terrain. Généralement, c’était Yokono, le propriétaire du ballon qui dirigeait les enfants d’autrui. Quelque soit la surface, (plate, triangulaire, rectangulaire), les touh-mbap jouaient seulement. Pour eux-quoi dedans ? Il fallait à tout prix jouer sinon c’était l’humiliation.

Quand venait la répartition, les deux meilleurs joueurs du kwat ne jouaient jamais dans la même équipe. Chacun devenait capitaine d’une team. On envoyait toujours Kamdem (Petit gros) aux goals mais on le remplaçait très vite par Issa (Longueur) en cas de penalty causé par Bisseck (Défenseur mordant et parfois mordu). Avant le match, une des deux équipes devaient jouer torse-nu…histoire de ne pas se confondre. Après la répartition, il y avait toujours un gars qui disait « Je ne sors pas, je ne sors pas ». La cause ? Aucune équipe ne voulait de lui. Conséquence ? Il devenait la viande au stade.

Quand le ballon sortait des limites du stade (Enfin, quand il y avait des limites), c’est Atango qui allait chercher le ballon. (La loi du tireur oblige) C’est-à-dire que hein, tu tires le ballon, tu pars chercher, tu ne vois plus, tu payes, tu fais comme si tu ne veux pas payer on part dire à ta mère, ta mère fait comme si elle aussi ne veut pas payer un nouveau ballon, Yokono, le propriétaire du ballon commence à pleurer et va dire à ses parents, ses parents s’énervent, les problèmes commencent, les injures préférées des camerounais suivent, les bagarres déclenchent, le quartier sort, on sépare mais le kongossa ne s’arrête jamais au carrefour et tout, et tout ça, et tout ça là. Pour revenir au match, l’arbitre ne sifflait les fautes que lorsqu’il y avait faute. Entre nous, c’était quoi la limite pour la faute ? Man no know. Retenons juste qu’on le chassait même souvent en lui rappelant qu’il n y avait pas l’arbitre.

Quand Yokono, mouilleur et propriétaire du ballon, sentait que son équipe perdait, il se fâchait, courait et plongeait sur son ballon comme le gardien de but. Pourquoi ? C’était son ballon. Quand quelqu’un voulait revendiquer, il menaçait « Le match est fini. Mouf ne me touchez plus. Rentrez chez vous». Quand Césaire, son meilleur ami  essayait de le ramener à la raison, le grand mouilleur s’énervait encore plus « Oh ne me touche pas hein ! En tous cas, toi tu ne joues plus mon ballon. Tu vas voir ! » Un vrai commandant de troupes cet enfant. Finalement, avec l’intervention de Mami Makala qui attisait son feu de bois plus loin, le petit revenait avec son ballon comme Benjamin. Après plusieurs tentatives devant le but des torse-nus (Vous avez crû que le propriétaire se déshabillerait ? Wandafoot ! ), les habillés ont trouvé la faille. Mais, le buteur ce n’était pas Yokono mais la viande.

En effet, c’est le joueur-viande que les deux équipes ont refusé lors de la répartition qui s’est vengé. Du coup, les habillés disent que c’était un remplaçant. Les torses-nu veulent le taper. On appelle l’arbitre (Le même qu’on a chassé quelques minutes plutôt) pour qu’il vienne trancher l’affaire. En wise-man, il valide le but. Pour lui quoi ? Est-ce que c’est la FIFA ? On rend le mal par le mal mais dans une atmosphère joyeuse car le soir, l’équipe victorieuse insultait copieusement les perdants autour des Beignets-Haricot-Bouillie de Mami Makala au Carrefour. Une ambiance qui renforce encore plus les liens entre ces gamins plus  joyeux à l’idée de disputer ensemble un match de petits goals que de se moquer des performances d’un tel ou d’un autre joueur Au Letch.

Auteur : Mota__Savio

Mollah, moi je suis Africain hein ! Camerounais et fier de l’être. Team: Vert-Rouge-Jaune ô Bosso. Internet ma muse, je n’oublie pas pour autant le ndolè et les missolè de mes ancêtres. Bref, je suis un gars comme vous : Un gars « connecté ». Hein ! Mollah